L' iguanodon
Je ne sais si le soleil ici est particulièrement levant, par contre, on peut vraiment dire qu'il est chez lui ; pas un jour ne s'est écoulé sans qu'il trône, royal au milieu d'un ciel sans nuage. Evidemment exprès pour m'embêter aujourd'hui il fait gris, ça doit bien être la sixième fois depuis notre arrivée.
Pour optimiser un maximum cette lumière divine qui nous tombe dessus et se gaspille bêtement entre deux buildings, je cherche depuis un petit moment un café, un snack, n'importe quoi un peu en hauteur et bien orienté, afin que mes pupilles, mes neurones et mon épiderme s'allanguissent dans une matinée rêvée, passée sans prononcer un mot, avachie sur une assise confortable, les oreilles envahies d'une sélection ipodesque impeccable, occupée que je serais à croquer (avec mon crayon) quelques autochtones, activité qui serait parfois interrompue par le touillage nonchalant d'une quelconque boisson tiède et odorante.
Me voilà donc à zieuter le Starbucks de Shibuya, établissement sur deux étages tout en baies vitrées, plein sud, au coeur d'un carrefour important, prometteur en observation de piétons de toutes sortes si l'inspiration venait à manquer. J'y grimpe donc, je ricane déjà, je commande un tchai fort et sucré à souhait, et gravi l'étage en me disant que pour quelques heures je vais être partie intégrante de ce paysage urbain de carte postale, puisque assise face à la vitre, je serais la tête d'épingle entre deux écrans géants que les touristes prennent en photo.
Mais j'ai à peine le temps de faire "niark!", que me voici bien déconfite : arrivée à l'étage, je constate amèrement que de fauteuil il n'y a point, et qu'on est ici à la mode bar : hop, chacun son tabouret ; on a fait mieux comme assise confortable, surtout quand on sait que mes jambes de Skipper (la soeur de Barbie qui n'a pas eu la chance d'hériter des 50cm de fémur qui autorisent la mini) me mettent en fâcheuse position à chaque tentative de fouillage de sac, resté à terre pour cause de volume (toute ma vie dedans).
Pas grave, je fais quelques développés-couchés, après tout, tant que je tombe pas à plat ventre sur le sol du Starbucks et devant Shibuya tout entier via la baie vitrée, je peux bien faire un peu de gym. Bon je suis pas méga à l'aise pour poser mon bardat autour de mon tchai, sans mentir la tablette doit faire 15 cm de profondeur, soit beaucoup moins que mon carnet et mon stylos 6 couleurs réunis. Alors je fais encore quelques développés-couchés pour essayer d'organiser mon espace perso, oups coup de coude à ma voisine de droite, là ca va commencer de craindre. Ok je bouge plus, je vais réfléchir en position statue de sel. Et puis après tous ces développés-couchés, je commence à avoir un peu chaud. Faut dire ils sont marteaux ici, j'ai l'impression d'être au Hammam café, le chauffage est poussé à fond ; je comprends pas, je croyais qu'ils n'étaient pas frileux ?
Je me suis un peu emballée ce matin, par dessus mes collants turquoises, j'ai pensé que mes longues chaussettes rayées bleu canard seraient formidables, et que les voir dépasser de mes ugg me ferait bien plaisir (je joue toujours à la poupée, mais en grandissant c'est sans poupée). Je vous rappelle que je suis en train de boire un thé brûlant à la vitre du Starbucks orienté plein sud et que mes bottes sont fourrées. Je commence à me demander si je vais pas fondre entièrement.
Mais en plus d'être habillée trop chaud, je suis têtue ; j'ai dit que je dessinerais toute la matinée au soleil, je vais donc dessiner. Avec ce point de vue, ce serait trop bête. C'est à ce moment là que ma voisine de gauche commence à s'agiter, je parle pas japonais mais je suis bonne en intonations ; je l'observe qui cherche des yeux quelque chose suspendu en l'air, elle a l'air contrariée. Et puis elle me voit. Alors elle sourit et me mime le volet qu'on déroule (je suis très bonne en décriptage de mime aussi). La ficelle du volet est à mon niveau, je vois bien que je dois agir. Dans une micro lueur d'espoir je lui mime à mon tour le volet qu'on enroule, vers le haut ? Ben non faut pas rêver, elle n'est pas d'accord. Voilà, je tire la bobinette et la chevillette tomba si bas que le volet à failli renverser mon tchai ; la vitre est bouchée, la vue réduite ; certes on est à l'ombre, mais l'horizon se résume désormais à une bâche blanc cassée qu'on a oublié de nettoyer et qui accuse un peu partout à sa surface des échantillons des boissons que l'on trouve ici. Murf.
Mais je suis très têtue, oui. Alors je maintiens ma position et décide que mal assise et sans vue, je vais embrayer sur mon courrier. Passons sur les multiples tentatives de trouver du papier à lettres dans mon sac si grand qu'il pourrait servir de K-way un jour de pluie, et ensuite lui assortir une enveloppe du bon format. Je suis en nage, je me sens pivoine, mais en moins fraiche que la fleur. Allez courage, je ne serais pas venue pour rien. Je reste concentrée sur ma lettre, ce qui m'évite de trop penser à mes pieds qui vont mettre le feu à mes bottes (ils sont restés au soleil, eux). Et puis je cachette l'enveloppe et dans un courant d'air que je provoque en fouillant (ben oui encore) mon sac, je sens qu'à vue de NEZ, il est largement le moment de décamper si je veux pas provoquer un mouvement de panique dans tout le deuxieme étage, entrainant ma voisine de droite concentrée sur ses cours, à abandonner ses feuilles dans la précipitation et à louper ses examens qu'elle a pourtant l'air de préparer très sérieusement.
C'en est trop, j'ai les joues qui fument, courage fuyons! Une gaijin liquifiée, place, place!
Je suis dans la rue en deux seconde, je vais mourir étouffée par ma propre chaleur corporelle. Ouf, de l'air. Je suis en tshirt, mon paquet de pull-veste-écharpe sous le bras, échevelée par la vapeur, les pores dilattés comme jamais, et j'ai du surgir brusquement car la rangée de personnes guettant le feu pour traverser se retourne d'un seul geste.
Moi en plus d'être frileuse et têtue, je suis maline aussi parfois, et pour garder ma contenance, je rentre dans la première échoppe qui se trouve là.
Tiens,le Kitty store, bon, "tant pis"....